Pas de sécurité sans notre propre industrie d’armement
Pour pouvoir se défendre, la Suisse a besoin d’une armée opérationnelle. L’industrie de l’armement garantit le bon fonctionnement de ses systèmes d’armes. Or, en raison des règles d’exportation très restrictives pour les biens d’armement, ainsi que de l’interdiction de réexportation, ce secteur industriel est sur le point de disparaître en Suisse. Sans exportations, il ne peut pas survivre économiquement. Mais, sans sa propre industrie de l’armement, la Suisse est menacée dans sa sécurité sa souveraineté. La révision de la loi sur le matériel de guerre (LFMG), qui doit permettre à nouveau l’approvisionnement des pays voisins doit être rapidement menée à son terme.
Etienne Bernard
Secrétaire central swissPersona
Base technologique et industrielle importante pour la sécurité
Une base technologique et industrielle performante constitue une composante de la politique d’armement dans de nombreux États. Ce point compte particulièrement pour la Suisse qui, en tant qu’État neutre, ne conclut aucune alliance défensive et ne peut donc prétendre à un appui militaire de la part d’autres États. A cet effet, elle dispose d’une base technologique et industrielle importante pour la sécurité (BTIS).
La BTIS doit contribuer à réduire la dépendance de la Confédération vis-à-vis de l’étranger dans des domaines définis de la politique d’armement. Elle doit être en mesure d’assurer la fourniture des compétences technologiques et des capacités industrielles clés pour le compte de l’armée et d’autres institutions de sécurité étatiques. Elle englobe les entreprises et les instituts de recherche installés en Suisse, qui disposent des compétences, connaissances et capacités requises.
Capacités et compétences-clés industrielles
Les systèmes d’engagement critiques de l’armée ont été définis sur la base de l’évaluation de l’importance de tous les systèmes de l’armée en matière de sécurité. La BTIS doit être en mesure de fournir des prestations essentielles dans le cadre du développement de composants, de l’intégration, de l’exploitation et de la maintenance afin d’assurer la capacité à durer de ces systèmes.
Les secteurs industriels importants pour la sécurité sont définis sur la base de la classification générale des activités économiques (NOGA) et en représentent environ 20% que sont: l’informatique et les services d’information, les télécommunications, l’électronique et l’optique, le génie mécanique, la réparation et l’installation de machines et d’équipements, les métaux et ses dérivés, produits en caoutchouc, en plastique et chimiques, la construction et pièces automobiles, l’aéronautique (transport spatial), l’investigation technique, physique et chimique, la recherche et le développement.
Notre industrie de l’armement est au bord du gouffre
Corollaires des dividendes de la paix après l’effondrement de l’URSS, les budgets consacrés à la défense en Europe ont été drastiquement réduits. En Suisse, l’Armée a été ruinée par 30 ans d’économies et son industrie d’armement avec. Des fleurons tels qu’Oerlikon Contraves, SIG Sauer, Mowag et des entreprises de la Confédération (Poudres & Charges propulsives Wimmis, RUAG International, RUAG Ammotec) ont été vendus à des concurrents étrangers.
La guerre en Ukraine, complète le tableau par l’évolution négative des exportations de matériel de guerre des deux dernières années. Après avoir chuté de 27% en 2023, elles ont encore baissé de 5% en 2024. Les exportations de l’année dernière concernent en majorité des commandes qui avaient été passées avant le durcissement des règles d’exportation pour le matériel de guerre en octobre 2021. Depuis, la Suisse et son industrie de l’armement ont perdu leur statut de partenaire fiable. L’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas ont explicitement rayé les entreprises suisses de leur liste de fournisseurs potentiels. Par le passé, ces pays avaient parfois absorbé jusqu’à plus de 40% des exportations d’armement suisses.
Cette perte de confiance confronte nos entreprises d’armement à des difficultés économiques et à la délocalisation d’une partie de la production à l’étranger: Safran Vectronix, fabricant d’appareils de mesure de distance et de vision nocturne, a dû introduire le chômage partiel. Swiss P Defence, qui produit des munitions de petits calibres, a récemment licencié 22 collaboratrices et collaborateurs. B&T, qui produit des armes de petits calibres, a été contrainte d’ouvrir une filiale en Allemagne pour pouvoir continuer à fournir l’armée allemande. GDELS-Mowag, le producteur de véhicules blindés à roues, doit créer davantage de valeur ajoutée dans le pays du client, ce qui coûte des emplois en Suisse. Carbomill a dû céder du savoir-faire technologique aux concurrents étrangers. Ses produits sont désormais fabriqués et livrés dans ces pays.
«Swiss free» ou pas d’armement fabriqué en Suisse est la position répandue à l’étranger. Les États-clients ne veulent pas dépendre de ce qui sera décidé après-demain à Berne. De même, ils ne veulent pas non plus devoir demander à chaque fois au Conseil fédéral le droit de déplacer des systèmes d’armes dans un autre pays de l’OTAN. L’industrie a besoin de fournisseurs qui peuvent livrer pendant 30 ans et plus. Or la Suisse a subi une perte de confiance totale : elle est perçue comme un État profiteur et juridiquement précaire.
Le 3ème durcissement de la loi sur le matériel de guerre et l’interdiction de réexportation, entrés en vigueur avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, ont pratiquement éliminé la possibilité d’exporter des biens d’armement. Cela met en danger l’existence de l’industrie de l’armement et donc aussi la sécurité de la Suisse.
Révision de la loi sur le matériel de guerre (LFMG)
En juin dernier, le Conseil des États a décidé de faciliter l’exportation de biens d’armement vers les États partenaires (principalement des États de l’OTAN) qui ont pris les mêmes engagements internationaux que la Suisse en matière de contrôle du commerce des armes. Désormais, les exportations vers ces pays seront autorisées, même s’ils sont en proie à un conflit interne ou externe. Toutefois, le Conseil fédéral doit obtenir la compétence de refuser l’autorisation d’exportation si les intérêts de la Suisse en matière de politique étrangère ou de sécurité doivent être préservés. En complément, le Conseil des États a décidé que ces même États pourront à l’avenir transmettre à d’autres pays, sans l’accord de la Suisse, le matériel de guerre qu’ils ont acquis. Grâce à ces décisions, la voie est ouverte à la suppression du « blocage de l’OTAN » et à l’« interchangeabilité » pour les États partenaires européens.
Malgré cette solution viable, la Commission de politique de sécurité du Conseil National (CPS-N) maintenant en charge du dossier, a reporté les débats à la session d’hiver. Le Parlement discute de cette révision depuis déjà plus de deux ans. C’est totalement irresponsable, compte tenu de la situation sécuritaire en Europe et que l’industrie nationale de la défense se trouve le dos au mur. Non seulement la Suisse envoie un signal désastreux, mais compromet aussi sa sécurité et sa souveraineté. swissPersona enjoint la CPS-N de traiter ce dossier en urgence. ■ (Foto: VBS, Philipp Schmidli)